Aux sources du bien-vivre
Aux sources du bien-vivre
Connaître les végétations de ses prairies
Changer le regard…
Il faut sortir de l’approche habituelle qui considère que l’optimum est l’herbe verte de plein printemps. Les prairies « top-model » ont été le modèle de l’agriculture mais celles-ci peuvent poser de gros problèmes en cas d’aléa climatique. De plus, elles engendrent une charge de travail instantanée importante et nécessitent souvent des coûts de mécanisation et des frais importants. Il faut dézoomer.
Il est conseillé de prévoir des « sécurités ». On peut décider de spécialiser des parcelles pour un usage estival ou hivernal. La broussaille (ronces, châtaigneraies recépées…) peut jouer ce rôle de « sécurité ». Dans ce cas-là, on la cultive. C’est la combinaison des ressources qui permet de construire la ressource alimentaire du troupeau tout au long de l’année et de diminuer les achats extérieurs.
Savoir ce que l’on veut
Avant de se questionner sur les caractéristiques des végétations présentes sur son exploitation, l’éleveur doit au préalable savoir ce qu’il souhaite et ce qu’il recherche et fixer ses objectifs. Afin de se permettre le maximum de possibilités d’adaptation. Il est utile d’élargir la palette des végétations présentes sur l’exploitation. Certaines plantes présentent des dispositions intéressantes qu’il est intéressant d’entretenir et d’autres doivent être maîtrisées pour les rendre consommables.
La valeur alimentaire n’est pas telle qu’on l’imagine…
La valeur nutritive s’exprime en énergies et protéines. Or, la valeur alimentaire, c’est-à-dire ce que les animaux sont capables de valoriser dans la végétation, ne se résume pas à la valeur nutritive. A valeur digestible égale, les animaux peuvent ingérer deux fois plus de volume quand le milieu est diversifié par rapport à un milieu homogène. Par exemple, l’ingestion est bien plus importante dans une parcelle de pelouse avec des genêts que dans une parcelle de pelouse seule : la végétation grossière relance l’appétit. Il faut donc rechercher ces synergies de végétation. Pour améliorer l’ingestion, il faut alterner le grossier et le fin. L’alternance de petites bouchées, plus nutritives, et de grandes bouchées, meilleures pour l’ingestion, aiguise l’appétit de l’animal (appétence), le motive, rompt la monotonie et donc l’ennui : un goût plus ou moins prononcé, des herbes plus ou moins hautes, une concentration plus ou moins importante de tiges ou de feuilles… et l’animal mange plus. L’optimum n’est donc pas une herbe verte et uniforme. La diversité floristique contribue directement à une meilleure valorisation des fourrages.
La diversité des ressources alimentaires doit être recherchée sur la parcelle mais aussi lorsque les animaux sont nourris au foin. Il est conseillé de prendre le temps d’observer le type de foin distribué (plutôt fin ou grossier) et de diriger les animaux ensuite vers le type de pâturage qui présentera des caractéristiques complémentaires.
Certaines ressources alimentaires peuvent de plus avoir des effets bénéfiques. Les animaux vont chercher dans les arbres ou les plantes à tanins des substances naturelles qui vont leur permettre de lutter naturellement contre les parasites ou les carences.
Questions de vocabulaire…
Le discours doit être modifié. On entend souvent à propos de la broussaille « les animaux vont bien finir par le manger ». Or, ce n’est pas le cas. La broussaille est mangée en parallèle de l’herbe plus fine. Le terme de « refus » doit plutôt être considéré comme une « ressource potentielle » : ce qui est refusé à un instant T peut avoir un intérêt plus tard dans la saison ou dans des circonstances particulières. Par exemple, la ronce…
Faire évoluer aussi les animaux !
La capacité d’ingestion vient de la diversité des végétations mais aussi de la physiologie de l’animal. Il y a bien sûr une part d’inné dans ses choix d’alimentation mais il y a aussi beaucoup d’acquis. Pour valoriser au mieux les végétations de l’exploitation, il faut avoir des bêtes adaptées. Cela passe par la génétique mais pas uniquement. L’éleveur peut travailler sur l’éducation de ses animaux et les encourager à mieux valoriser certaines surfaces ou certains végétaux grâce à des techniques spécifiques. Le comportement de l’animal peut alors être en partie modifié. Ces changements doivent se faire dans la tête mais aussi dans le corps de l’animal. Il faut distinguer ce qu’ils « savent » qu’ils peuvent ingérer et ce qu’ils « peuvent » ingérer, c’est-à-dire que leur rumen est capable d’assimiler.
La composition des prairies n’est pas le seul levier dont dispose l’exploitant pour modifier ses pratiques. Sans modifier la génétique de son troupeau, l’animal a ses propres choix, ses envies, son fonctionnement. Le végétal apporte du report sur pied, de la souplesse, des éléments aromatiques sur l’ensemble de l’année. Il faut donc prendre en compte le triptyque végétation / troupeau / pratiques.
Se repérer dans les saisons
Pour appréhender la pousse de l’herbe dans l’année, il est utile de savoir repérer la succession des « saisons réelles » car elle influe sur :
- Les saisons phrénologiques : elles sont différentes en fonction de l’altitude, de l’exposition et il se peut même que certaines saisons n’existent pas dans certains endroits. Par exemple, l’été qui est caractérisé par une période de sécheresse, n’existe pas dans certaines conditions de montagne car il y a toujours présence d’eau.
- La valeur nutritive et l’appétence
- La sensibilité au pâturage
La souplesse et le report sur pied comme finalité
La souplesse et le report sur pied sont deux notions cruciales. Un mélange ray-grass/dactyle est certes très productif mais ne procure aucune souplesse d’exploitation. S’il vieillit, sa valeur alimentaire chute et devient très mauvaise. Une prairie naturelle a la capacité de vieillir tout en restant nutritive et appétente. Elle offre un très bon report sur pied. C’est-à-dire une capacité pour le végétal de fournir de la ressource de qualité même après avoir séché. Le brachypode et le stippe illustrent cette caractéristique.
Il faut jouer avec les conditions de milieux car elles permettent de décaler un peu la pousse de l’herbe. Pour cela, se poser les bonnes questions permet de commencer à caractériser les végétations :
- quelle végétation permet une utilisation précoce ?
- quelle végétation va me permettre de passer les périodes sèches estivales ?
- quelle végétation résiste l’hiver et est utilisable durant cette période froide ?
- quelle végétation a la capacité de pousser à l’automne ?
- …
Ce sont les réponses à ce questionnement qui permettent de construire son plan de pâturage.
Rappelons bien sûr que cette construction est amenée à évoluer dans le temps, l’approche doit être constamment dynamique : le plan doit pouvoir être modifié au cours de l’année et sur plusieurs années. L’éleveur ne doit pas subir pas la végétation : c’est un véritable pilotage qui doit être mis en place.
Construire un plan de pâturage passe par une meilleure connaissance des végétations, une caractérisation plus fine des plantes qui les composent et de leurs aptitudes.
Comment mieux connaître les végétations sur son exploitation ?
Afin de mieux connaître les végétations et leurs propriétés, SCOPELA a créé un outil Patur’ajust. Son objectif : identifier les végétations présentes sur l’exploitation afin de leur trouver un usage en cohérence avec les objectifs de l’éleveur ou, éventuellement, les faire évoluer pour qu’elles entrent au mieux dans le chaînage de pâturage. C’est un autodiagnostic : l’éleveur lui-même peut réaliser ce travail.
Il repose sur les caractéristiques des plantes. L’outil consiste en un tableau qui présente :
- Un gradient vertical qui représente la productivité de la végétation en premier cycle (donc sans prendre en compte les repousses), c’est le rendement en matière sèche, la production de biomasse
- Un gradient horizontal qui classe les plantes selon leur précocité et leur vitesse de croissance. Notons que la vitesse de croissance qui est le paramètre pris en compte ici est une notion différente de la date d’épiaison.
Les plantes de droite sont celles qui sont les plus sensibles à l’utilisation agricole, en particulier les pratiques de pâturage. Elles ont une croissance plutôt lente et sont principalement tardives. Celles de gauche supportent mieux les usages répétés. Elles poussent vite et sont plutôt précoces. A l’extrême gauche du graphique, on trouve les plantes annuelles.
Comment faire évoluer sa végétation ?
La mise en réserve est la capacité de la plante à stocker de l’énergie dans ses organes. Lorsqu’elle pousse, elle puise son énergie pour fabriquer des tiges et de feuilles. Cela fait, elle n’a plus de réserves d’énergie et doit les reconstituer ensuite pour survivre. Avec le pâturage et la fauche, on joue sur cette mise en réserve. Si on coupe la plante trop tôt, avant qu’elle n’ait eu le temps de reconstituer ses réserves, on l’épuise, elle se nanifie et finit par mourir si on répète les coupes à ce stade. C’est un moyen de sélectionner les plantes dans une parcelle. En réfléchissant à ses pratiques, on peut modifier la végétation, c’est ainsi qu’on peut la piloter et l’adapter au mieux à ses objectifs. L’éleveur doit garder le contrôle et ne pas subir.
Par exemple, si on répète les fauches précoces, on va supprimer les espèces tardives. Si on tarde à utiliser la parcelle, on finit par sélectionner les espèces tardives et supprimer les espèces précoces car elles sont moins compétitrices. Autre exemple, renforcer le chargement instantané sur une parcelle pourra être aussi une technique pour modifier la flore.
Une évolution mais dans la limite du possible…
Les choix et la volonté de l’éleveur sont cependant contraints par les conditions pédoclimatiques. Celles-ci ne permettent pas parfois de glisser d’une catégorie de végétation à une autre. Si l’on souhaite favoriser des plantes plus précoces alors que les ressources du sol, en particulier la fertilité, ne le permettent pas, on risque de faire basculer la végétation vers des plantes annuelles ou pionnières qui ne sont pas d’un grand intérêt. Il faut donc prendre en compte le gradient de fertilité du sol qui est représenté pat l’axe en diagonale dans le graphique. Et procéder à des changements progressifs, la végétation sera trop perturbée en cas d’évolution trop rapide et ne répondra pas favorablement.
Une utilisation dans la durée
Un autre paramètre doit être pris en compte dans les choix d’utilisation successifs des végétations, c’est leur capacité de report sur pied.
Les espèces situées sur la gauche du graphique sont les plus précoces. Elles poussent vite, mais fanent également très tôt et sont ensuite rapidement réduites à une matière sèche difficilement valorisable par les animaux. Elles ne restent pas vertes. On dit qu’elles ont une mauvaise aptitude au report sur pied. Ce sont des espèces que l’on appelle « à stratégie de captation ». En revanche, si elles sont difficilement consommables une fois leur optimum dépassé, un coupe leur permettra de repousser rapidement, représentant alors une ressource alimentaire intéressante.
En effet, les espèces à captation peuvent reconstituer leurs réserves rapidement : dès que le feuillage est développé, elles recommencent à stocker de l’énergie. Elles supportent donc les usages précoces et répétés. Cet enchainement de pousse et de coupes peut se répéter tant que l’eau et les nutriments sont suffisamment présents dans le sol. En revanche, si ces facteurs limitants viennent à manquer, ces espèces ne parviennent pas à survivre.
Cas des plantes à stolons et rhizomes
Ces plantes réagissent différemment car elles disposent de grandes réserves dans le sol. Elles ont la capacité à résister très fortement au pâturage.
Si l’on coupe à blanc des plantes à rhizomes ou des arbustes telles que les prunelliers, les ronces ou les aubépines, elles repoussent avec une vigueur de croissance démultipliée, plus d’épines et deviennent ligneuses plus vite. Dans ce cas, elles mobilisent simultanément toutes leurs stratégies de repousse : multiplication végétative, marcottage, rhizomes… Pour les maîtriser, il est préférable de conserver une tige unique lors de la coupe (le tiers ceps). En faisant cela, on affecte la mise en réserve de la ronce en multipliant les prélèvements des pousses successives. Si l’on poursuit, la plante peut disparaître, mais on peut aussi choisir de la maîtriser et de conserver les pousses annuelles, plus souples, moins ligneuses et consommables, pour l’alimentation des animaux
Quelques plantes…
- La Fétuque élevée (Festuca arundinacea) : plante précoce, présente un peu de report sur pied, résiste bien à la sécheresse. Elle a une distribution assez large dans les différentes végétations herbacées.
- Le Brome érigé (Bromus erectus) : se trouve plutôt sur calcaire
- Le Brome stérile (Bromus sterilis) : plante annuelle
- La Fétuque ovine (Festuca ovina) : plus fine que la fétuque rouge
- Le Rumex petite oseille (Rumex acetosella) : caractérise les sols acides, n’est pas sur calcaire
- Le Doryctium (Dorcynium hirsutum), appelé localement badasse : très mellifère, souvent sur sols argileux voire marneux
- L’Aphyllante (Aphyllantes monspeliensis) : on la trouve sur les sols argileux et marneux. Cette plante est très appétente mais elle est très sensible au pâturage en hiver.
- Les joncs ont besoin d’un déprimage de printemps pour pouvoir être encore mangés en été, sinon ils deviennent trop ligneux.
Un article proposé par le PNR du Haut-Languedoc
Le projet du Haut-Languedoc sur la valorisation des prairies c’est par ici !