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Le pâturage d’arrière-saison dans le Haut-Allier

En ce mois d’octobre 2019, l’association Geyser est allée à la rencontre de Michèle et Denis éleveurs en Haute-Loire, pour mieux comprendre la place et la gestion des ressources fourragères d’arrière-saison sur leur ferme.

L’herbe : un choix économique et technique

Une diversité de productions

La ferme du rocher de Blot se situe au Chambon de Cerzat dans la haute vallée de l’Allier. Ses productions principales sont l’élevage de vaches laitières et de brebis allaitantes. La ferme produit également des céréales et des lentilles vertes du Puy.

Une place prépondérante du pâturage dans l’alimentation

Le pâturage tient une place centrale dans le système de production. Pour ces éleveurs, plus les bêtes sont dehors pour manger et mieux c’est ! Cette orientation résulte d’une recherche d’économie et d’autonomie ; en effet, le fourrage consommé par les bêtes dehors est meilleur marché que celui qui est donné dedans. Les génisses et les brebis avant l’agnelage pâturent neuf mois sur douze. Les hivers où il ne fait pas trop froid les animaux restent dehors et du foin leur est apporté.

Vaches Montbéliardes
© Jean-Luc Campagne

Le pâturage d’arrière-saison : un maillon essentiel du système d’alimentation

Le pâturage d’arrière-saison n’est donc pas une option mais un maillon essentiel du système, une continuité de la pratique pastorale engagée au début du printemps.

Nous parlerons ici, essentiellement, de la conduite du troupeau Ovin :

La façon de procéder pour la mise à l’herbe est en fonction des lots d’animaux :

  • Les brebis vides et taries restent dans de grands parcs, en plein air intégral durant au moins les trois quarts de l’année.
  • Les brebis en production pâturent sur des zones proches des bâtiments, elles sont également gardées sur le rebord des falaises de Blot ou les bords d’Allier.

Miser sur la complémentarité des ressources et des milieux

Une mosaïque de milieux, une diversité de ressources

Pour le pâturage, le Gaec Familial mise sur la diversité des ressources, c’est une façon de s’adapter aux caractéristiques et contraintes du territoire.

« Dans la région où l’on est, il faut qu’on tire parti de tout ! »

A l’arrière-saison, les brebis se nourrissent grâce à la repousse de prairies fanées, à des cultures dérobées, et à ce qu’elles prélèvent dans les bois et les zones de landes. Les ressources fourragères de ces milieux plus ou moins boisés, fermés, sont parfois inattendues telles que la feuille de lierre…

Une plus-value des secteurs boisés ou enfrichés

On pourrait penser qu’en arrière-saison ces zones ont peu d’intérêt, la période de développement végétatif étant passée. Au contraire, Denis explique qu’il y a une repousse parfois plus nette dans ces milieux que dans les prairies, grâce à l’ombrage des ligneux. Et une visite dans le parc nous le confirme ; il n’y pas de doute, les brebis se sont bien servies dans le sous-bois.

« Regardez comme elles ont mangé les repousses des arbustes. Voyez, là, les pruneliers, les pousses de ronce, l’aubépine, elles les ont mangés. Ça évite que ça progresse trop ».

Brebis du Haut Allier
© Jean-Luc Campagne

L’appétence et les qualités d’une végétation naturelle

Dans ce patchwork végétal, les animaux apprécient en particulier les végétations naturelles. Cette préférence vaut aussi pour les couverts herbacés ; Denis le constate régulièrement, entre une prairie naturelle et une prairie temporaire, les brebis commencent toujours par la prairie naturelle.

Des végétations aux potentialités complémentaires

Malgré leur appétence, toutes les végétations naturelles ne sont pas appréciées de la même façon ; mais elles peuvent aussi révéler des complémentarités. C’est ce qu’expliquent Michèle et Denis au sujet des deux principaux secteurs de gardiennage. Le rebord des falaises de Blot est particulièrement appréciée par les animaux au printemps et à l’automne si la repousse est suffisante. Les bords d’Allier quant à eux, sont bien utiles pour assurer en partie la ressource pastorale estivale ou automnale, mais ils n’ont pas la même qualité nutritionnelle pour les brebis.

« Au bord de l’Allier, c’est une herbe grasse. Disons qu’a la sortie, elles auront bien mangé mais ça ne les rassasie pas comme l’herbe de la falaise »

La repousse de l’arrière-saison sur les bords de l’Allier est cependant mieux appréciée par les brebis qu’au printemps, leur passage contribue à améliorer la ressource au fil des saisons et d’année et en année.

«grâce à la pression pastorale, l’herbe se refait, et avec toutes les déjections, ça apporte de la fumure ».

Bref, s’il est bien conduit le pâturage encourage le pâturage.

Bords de l'Allier
© Jean-Luc Campagne

Miser sur l’adaptation et l’aptitude des animaux

Une autorégulation de l’alimentation

Les parcs et parcours dévolus aux brebis sont de véritables plateaux repas, dans lesquels elles vont et viennent en fonction de leurs envies et besoins. La régulation de l’alimentation est pour l’éleveur un point d’attention important.

« En cette saison il y a des glands ; elles en sont friandes. Quand elles sont dehors, elles se régulent seules, en revanche quand les brebis sont en bergerie et qu’on les sort la journée, elle s’y jettent dessus, et là ça peut être toxique, il faut être plus attentif. »

Cette capacité d’autorégulation tient également aux marges de manœuvre que peuvent avoir les animaux pour s’alimenter, d’où l’importance d’une gestion extensive en cas de sécheresse prolongée…

Des races du Massif central adaptées

L’accès des brebis à une diversité de ressources, avec beaucoup de bois, de pelouses, de végétations ligneuses, et une végétation ‘’fraîche’’ plus ou moins au rendez-vous en arrière-saison, pose la question de leur capacité à bien les valoriser, une aptitude appréciée des races du Massif central.

« On a des Blanches du Massif central, des Noires du Velay et des Bizet. En période de sécheresse, elles vont maigrir un peu mais dès qu’il va y avoir de la pousse d’herbe, elles sont de nouveau en état ».

Bref, elles font un peu l’accordéon, sans que cela ne soit préjudiciable pour l’avenir de la production. Et dans un contexte de sécheresses répétées, la rusticité pourrait bien être un réel avantage.

« Les animaux sont moins difficile, si le fourrage est un peu moins bon elles s’en contenteront, elles se maintiendront en état alors que si on avait des races à viandes de pays d’élevage ça ne suffirait pas ».

Adapter la pression de pâturage

L’intérêt d’une gestion extensive

Sur la ferme de Blot, l’adaptation de la pression de pâturage est facilitée par une gestion extensive, qui offre plus de marges de manœuvre.

« Le but c’est de récupérer du fourrage au maximum ; c’est l’herbe mais aussi la ressource liée aux arbustes ».

La ressource fourragère peut néanmoins manquer, dans le contexte d’une sécheresse prolongée jusqu’au milieu de l’automne. Pour l’éleveur l’enjeu est à la fois d’assurer l’alimentation des animaux et de limiter le surpâturage ; il est alors particulièrement attentif à l’état de ses bêtes et à leur comportement.

Pâturage tournant, rationnement, report : des stratégies complémentaires pour s’adapter

L’observation régulière des parcs et des animaux est donc au cœur du processus d’adaptation de la pression de pâturage, une approche nourrie de l’expérience. Pour l’éleveur,certains indicateurs ne trompent pas sur le besoin de pratiquer une rotation, « une prairie rongée » par exemple, ou le comportement des animaux qui manifestent leur mécontentement.

Pour utiliser au mieux la végétation en place et prolonger la durée de pacage dans un parc, une stratégie peut être de combiner l’accès libre à la totalité d’un ilot et le rationnement au fil de certaines parcelles. En cas de sécheresse prononcée, le report sur pied peut aussi constituer une solution, même si la végétation « sèche » n’a pas la préférence des brebis. Citons enfin, la coupe de branches de frênes, une solution d’urgence pour faire face aux situations de sécheresses exceptionnelles.

L’intérêt des Parcs pour la valorisation et l’amélioration des ressources pastorales

Pour Denis et Michèle, les parcs permettent une meilleure valorisation de la végétation herbacée et ligneuse, en particulier dans les zones de bois ou de landes, ils permettent aussi d’en améliorer le potentiel et favorisent le développement d’une végétation intéressante pour l’arrière-saison.

Progressivement, sur la ferme, des clôtures électriques fixes ont donc été installées pour constituer de vastes parcs diversifiés, en particulier dans les zones non mécanisables. Mais la pose de clôtures fixes, c’est aussi un investissement non négligeable,

« ça prend du temps, ça coûte cher, ça demande de l’entretien mais ça fait une génération ; et les animaux ne passent pas, ça ne les esquinte pas comme si c’était des barbelés »

L’intérêt du gardiennage pour la préservation des végétations sensibles

Si les parcs ont un réel intérêt pour tirer profit de la diversité des ressources fourragères qu’ils abritent, d’autres secteurs se prêtent mieux au gardiennage en raison de la nature et de la sensibilité de la végétation :

« Sur la falaise, il ne faut pas que les brebis y restent trop non plus car sinon elles vont tout détruire ».

Et en cet automne 2019, le choix des éleveurs a été en effet de ne pas faire pâturer les rebords de falaise pour préserver le milieu, en espèces remarquables (Armoise camphrée, Liseron cantabrique, Gagée de Bohême )

Falaises de Blot
© Jean-Luc Campagne – Les Falaises de Blot, Site classé depuis le 9 janvier 1978

Faire valoir la complémentarité environnementale

Les zones pacagées par le GAEC de Blot, sont riches d’une diversité de milieux. Le pâturage des ovins contribue au maintien d’une mosaïque paysagère et de milieux ouverts ou semi-ouverts particulièrement riches.

Cette dimension écologique est prise en compte dans la démarche des éleveurs, engagés depuis de nombreuses années dans des dispositifs agro-environnementaux. Mais au-delà de cet aspect de leur démarche, il ressort de leurs propos la place particulière qu’ils reconnaissent à leur activité :

« Les bords de l’Allier, les brebis y passent du temps. Et ça rend service aux pêcheurs aux baigneurs. Et puis un troupeau de moutons ça a une belle image ».

Une dimension à faire valoir, pour l’avenir du pastoralisme sur ces secteurs.

Pour découvrir d’autres pratiques d’éleveurs allez à la rencontre de Felix et Benoît en Estive dans le Pilat.